Barrer le T

Barrer le « T » : en bleu les attaquants, en rouge les défenseurs.

Barrer le T est, lors d'un engagement naval, la manœuvre qui consiste à se présenter perpendiculairement à la ligne de bateaux adverses (représentant ainsi schématiquement un « T » où la ligne de navire attaquée est le corps de la lettre et où l'attaquant représente la barre horizontale).

Toutes choses égales par ailleurs, celui qui a « barré le T » bénéficie d'une grande supériorité de feu. D'une part, il est bien plus facile d'estimer précisément la direction dans laquelle tirer, que la distance précise de la cible, et cette erreur d'estimation de la distance sera également plus grave. La flotte qui barre le T voit une cible relativement étroite, mais relativement profonde, de sorte qu'une erreur sur la distance n'empêchera pas de tirer au but. Au contraire, la flotte qui est dans la branche verticale du T voit une cible plus large mais moins profonde, donc plus difficile à atteindre.

D'autre part, l'escadre attaquée ne peut utiliser que ses canons tirant vers l'avant. Avant l'invention des tourelles, à la fin du XIXe siècle, les navires avaient le gros de leur artillerie portés par les flancs et seulement quelques canons pouvant tirer vers l'avant (au surplus, gênés par un navire qui les précède dans la ligne), de sorte que l'escadre attaquée était quasiment impuissante. Dans la configuration moderne, celle des dreadnoughts, l'avantage subsiste mais se réduit.

Un plan du HMS Bellerophon de 1907. En barrant le T il peut utiliser au moins 8 canons principaux, mais seulement 6 s'il se fait barrer. Très vite, les cuirassés perdent les tourelles latérales (e.g : le SMS Baden de 1915), puis concentrent la puissance de feu sur l'avant (e.g : le HMS Nelson de 1922).

Enfin, l'escadre qui barre le T peut très facilement concentrer son tir sur un seul navire, celui en tête de l'escadre ennemie, puis passer au suivant une fois celui-ci mis hors de combat. L'escadre attaquée n'a pas de cible aussi évidente et son feu, déjà plus réduit comme vu précédemment, sera en outre plus dispersé donc moins efficace.

Ainsi, à partir de la généralisation de l'artillerie navale et jusqu'à son obsolescence à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les commandants des escadres avaient un rêve, barrer le T à l'ennemi, et une hantise, se le laisser barrer.

Cette tactique n'est cependant pas la panacée. Si l'escadre qui barre le T ne parvient pas à profiter de son avantage, elle risque de se faire couper en deux, avec ses deux morceaux s'étant fait à leur tour "barrer le T", et l'inconvénient supplémentaire de ne plus pouvoir se coordonner. C'est par exemple ce qui se produisit à la bataille de Trafalgar, le  : l'amiral Nelson fonce vers la flotte franco-espagnole, bien qu'elle lui barre le T, et la disloque en son centre ; la manœuvre exposait particulièrement les deux navires de tête de la flotte anglaise, le Victory de Nelson et le Royal Sovereign de Collingwood, qui furent tous les deux ravagés. L'amiral Nelson y perd la vie.

À Trafalgar, les britanniques (à gauche) enfoncent la ligne franco-espagnole en faisant fi du "T".

© MMXXIII Rich X Search. We shall prevail. All rights reserved. Rich X Search