Postmodernisme

Postmodernisme a pris deux significations antagonistes :

  • il a désigné d'abord en littérature, puis avec Jean-François Lyotard en philosophie, l'ultra-modernité conduisant au mouvement de la déconstruction. Parmi les différents auteurs ayant utilisé cette notion en ce sens, le critique littéraire Federico de Onís opposait en 1934 précisément la littérature postmoderne à l'ultra-modernisme[1] ;
  • il désigne un mouvement artistique de réaction à la modernité en architecture[2], théorisé par le critique d'art Charles Jencks[3], qui engage une rupture ironique avec les conventions anhistoriques[4] du modernisme en architecture et en urbanisme, tout particulièrement avec les prétentions à conclure l'histoire et à ignorer la géographie. Dans le livre-manifeste de ce mouvement[5], intitulé Le Langage de l'architecture postmoderne, paru à Londres en 1977[6], Charles Jencks réinscrit l'architecture dans le fil d'une histoire générale des mouvements artistiques, incite à un retour aux compositions et aux motifs empruntés au passé[7], à un éclectisme s'appuyant sur un regard nouveau portant aussi bien sur la culture populaire et son expression architecturale (le « vernaculaire commercial » de Robert Venturi[8]), que sur la culture savante (le « néoclassique » de Ricardo Bofill).

Le postmodernisme introduit une distance critique par rapport au discours moderniste devenu hégémonique. C'est un courant majeur de la création architecturale, et plus généralement artistique, de la fin du XXe siècle. Considéré aux États-Unis comme un terme purement stylistique, le postmodernisme est la réintroduction de l'éclectisme en architecture, mais en englobant aussi le Modernisme et le Style international, reconsidérés comme de simples moments de l'histoire de l'architecture avec lesquels on a pris ses distances. Mais en Europe, ce discours critique porte aussi sur la décontextualisation sociale, politique[9] et géographique de l'urbanisme moderne admettant des contre-propositions comme celles de Christopher Alexander ou de François Spoerry[10].

  1. Perry Anderson, Les Origines de la postmodernité, pages 9 et 10, Les prairies ordinaires, 2010.
  2. « Comme on le sait, c’est l’architecture qui a offert à la philosophie le concept de postmodernité. Sa vocation au sein du champ architectural était, au départ du moins, tout à fait claire. Il avait l’ambition de sonner le glas de la modernité architecturale, et, en particulier, de ses dérives fonctionnalistes. Ce diagnostic a, je crois, été dramatisé avec le plus de force au début de l’ouvrage de Ch. Jencks Le langage de l’architecture postmoderne (paru en 1979) […] Toutefois, très rapidement, cette profession de foi a excédé le champ de l’analyse architecturale de sorte que la revendication postmoderniste s’est très vite présentée comme une critique radicale de la modernité, de ses soubassements et de ses présupposés, répondant d’ailleurs ainsi à l’ambition englobante assumée par le modernisme architectural dans ses diverses formes (Le Corbusier, Bauhaus…). » Jean-Louis Genard, « Modernité et postmodernité en architecture », Réseaux, revue interdisciplinaire de philosophie morale et politique, n° 88-89-90, 2000, " Modernité et postmodernité ", p. 95-110
  3. Les mots postmoderne et postmodernisme, appliqués aux arts, sont apparus dans une conférence prononcée pour la première fois par Charles Jencks en 1975 à Eindhoven, avec la volonté de clore le mouvement moderne. Auparavant, ce mot avait déjà été utilisé avec le sens opposé. Dans l'introduction du Langage de l'architecture postmoderne, Jencks explique que, lorsqu'il commençait à écrire ce livre en 1975, « le mot et le concept de postmodernisme n'avaient été utilisés que dans la critique littéraire. (…), mais dans le sens d'ultra-moderne, par référence aux romans extrémistes de William Burroughs et à une philosophie du nihilisme et de l'anti-convention. Je connaissais ces écrits, ceux d'Ihab Hassan, et d'autres, mais j'utilisais le mot pour signifier le contraire de tout ceci : la fin de l'extrémisme d'avant-garde, le retour partiel à la tradition, et le rôle central de la communication avec le public : l'architecture est l'art public par excellence ».
  4. Voyez: L'a-historicisme du Bauhaus et ses conséquences", par Bruno Zevi. On doit remarquer que l'anhistoricisme a aussi été, à la même époque, un principe du Freudisme.
  5. William J R Curtis conteste le rôle d'initiateur auquel prétend Jencks. Il voit plutôt en lui un simple compilateur : « Le critique Charles Jencks a rassemblé un étrange assortiment de constructions destiné à illustrer la nouvelle tendance (…) Ni l'auteur ni les exemples choisis ne montraient un grand intérêt pour l'authenticité de l'expression (« postmodernisme ») ; les bâtiments trahissaient tous cette démarche superficielle faisant des modèles d'architecture précédents des amplificateurs de références ou de citations et guère plus. » in L'architecture moderne depuis 1900, troisième édition, Phaidon, 2004, p. 602.
  6. La même année Robert Stern parle du postmodernisme dans plusieurs revues comme Architectural design, et le définit par « trois aspects : le contextualisme, la référence historique et l'emploi de l'ornement ». C. Ray Smith publie à New York Hypermaniérisme, nouvelles tendances de l'architecture postmoderne.
  7. L'ornement est progressivement réhabilité des anathèmes d'Adolf Loos, d'abord esthétiquement par Robert Venturi, puis anthropologiquement dans Recherches sur les fonctions sociales de l'ornement, par Louis Maitrier.
  8. Learning from Las Vegas, par Robert Venturi et al., 1972.
  9. Charles Jenks renvoie à la définition que donne Hannah Arendt de l'« Espace public » qui est un chapitre de La Condition de l'homme moderne
  10. Charles Jenks rapporte une conversation en 1977 avec Maurice Culot « un des responsables de l'ARU à Bruxelles qui a passé dix jours à Port Grimaud pour discuter avec l'architecte » et qui lui confiera que « ce type de réalisation était ce qui convenait pour le peuple, mais que ses responsables communistes locaux restaient trop attachés aux modèles d'urbanisme des années 1930. » Dès 1972, Henri Lefebvre était venu tenir son séminaire de sociologie urbaine à Port Grimaud.

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